J’ai avalé un arc-en-ciel est ton premier roman paru, mais pas le premier écrit. Pourquoi celui-ci d’abord, alors ?
Tout ce qu’on écrit n’a pas forcément vocation à être publié ! J’avais besoin de me faire les griffes, avant de demander à des gens de bien vouloir prendre de leur temps pour lire mes histoires. Alors j’ai écrit, beaucoup, et j’ai essayé d’apprendre.
Et puis, d’un point de vue plus pragmatique, j’avais beaucoup entendu que le monde de l’édition en France pouvait être glacial avec les nouveaux auteurs, et j’ai considéré que ce projet-là, pour plusieurs raisons, était celui qui avait le plus de chance de faire fondre un peu la glace.
Pourquoi avoir proposé ce texte aux éditions Nathan ?
J’ai pensé qu’ils étaient susceptibles de faire une place à mon roman dans leur collection, car ils semblaient ouverts à des projets un peu singuliers. Et puis l’idée d’être publié m’effrayait pas mal, j’hésitais à m’auto-publier pour rester indépendant. Avec Nathan, je me suis dit que le jeu en vaudrait la chandelle, parce que je savais que mon livre serait très exposé, ce que je n’aurais vraisemblablement pas réussi à faire tout seul.
Puce est un personnage très fort et nuancé entre humour et sensibilité. D’où vient Puce ?
Puce est née dans une marmite ! J’y ai mis un fond de moi-ado, une couche de moi-adulte, j’ai mélangé ça avec des traits de plusieurs jeunes filles américaines que j’ai côtoyées aux États-Unis, et j’ai saupoudré le tout de graines de fiction.
Ah, et d’un peu de ciboulette, aussi.
Tu proposes donc par la plume de ton héroïne un regard tendre et vibrant sur l’adolescence : est-ce un âge qui t’intéresse particulièrement ? ça représente quoi, pour toi, d’être adolescent ?
Je n’avais pas décidé d’écrire sur l’adolescence, en fait, le thème s’est juste imposé à moi quand j’ai décidé d’écrire un roman sur ce lycée dans lequel j’aurais adoré aller. Fatalement, tous les personnages étaient ados ! Du coup je me suis penché sur la question 🤔.
Pour moi, ce sont les années pendant lesquelles la vie monte le son. On n’a pas encore le filtre qu’on se construit avec l’âge adulte, alors les sentiments, les émotions, tout nous arrive avec une intensité folle. Et puis c’est le moment où on commence à comprendre que la société des humains nous a raconté beaucoup de salades. On doit décider comment se situer par rapport à ça. La vie nous moule, on se moule soi-même, on se moule les uns les autres… c’est l’époque poterie, quoi 😄.
Il me semble qu’il y a un lourd travail de recherche qui a été fait avant l’écriture même du livre ?
J’ai été prof pendant 3 ans dans le lycée qui m’a inspiré celui du livre. Quelques mois avant de rentrer en Europe, j’ai eu l’idée du roman, alors j’en ai parlé aux élèves, et une nouvelle relation s’est établie entre nous. Ils ont commencé à se confier à moi, une sorte de « secret professionnel » s’est installé, car ils me faisaient suffisamment confiance pour me parler des fêtes du week-end, des anecdotes, de l’alcool, de la drogue, du sexe, et moi en tant que prof et figure autoritaire, je devais réussir à trouver ma place là-dedans. Ce n’était pas évident, mais c’était la seule solution que je voyais pour écrire le livre que je voulais. Mes collègues grimaçaient un peu de me voir déserter la salle des profs le midi pour aller déjeuner avec des élèves et écouter les nouveaux potins !
J’en profite pour dire à ceux qui pourraient le penser que le lycée et les ados qui sont dans ce roman ne sont ni utopiques, ni caricaturaux. Je m’attendais à ce que l’on pense ça, vu de France, mais en réalité, ce roman est quasi-documentaire, à un point qu’on n’imagine pas !
Tu écris donc la vie d’une adolescente française de souche sur un campus américain… il y a une réflexion sous-jacente intéressante sur les différences culturelles abordées avec beaucoup d’humour. Tu dois être toi-même sur la ligne entre les deux cultures pour réussir à en parler si bien ?
J’ai passé cinq ans aux États-Unis. Quand on fait partie d’une autre société et qu’on vit dans une autre langue pendant aussi longtemps, notre cerveau finit par assimiler un nouveau système de pensée. Mais parfois, les deux systèmes de pensée ne co-existent pas de manière indépendante, ils se polluent l’un l’autre, et ça pose un certain nombre de problèmes, linguistiques et culturels. C’est très déstabilisant. Il y a de ça dans ce que vit Puce, même si c’est un peu différent pour elle car elle a grandi avec les deux systèmes de pensée en même temps, ses problématiques ne sont pas tout à fait les mêmes que les miennes.
J’ai avalé un arc-en-ciel est aussi un roman rempli d’humour. C’est important, pour toi, dans la vie et dans les livres ? Tu écris toujours avec ce style piquant, enlevé, parfois naïf ?
Non, je n’écris pas toujours comme ça. Quand tu écris à la troisième personne, tu peux créer un narrateur et un style que tu gardes plus ou moins d’un roman à l’autre, mais à la première personne, pour moi c’est le personnage qui dicte la voix, et donc le style. Dans J’ai Avalé un Arc-en-Ciel, le style est donc né avec Puce. J’ai dû ré-écrire l’intro du blog une bonne quarantaine de fois pour trouver sa voix. Après avoir longuement imaginé et développé Puce dans ma tête, j’ai pu regarder le monde avec ses yeux. L’humour que tu évoques est venu d’elle, de sa façon de voir les choses.
Avec ce style, tu abordes quand même des thèmes forts, et notamment celui de la fin du lycée, du passage à l’âge adulte — ou du moins à l’université. C’est un thème universel auquel on s’identifie, même si on parle ici de la fin du lycée américain. C’est un passage important, selon toi, dans nos vies ? Il a été essentiel pour toi aussi ?
Le thème de la fin du lycée n’a pas été essentiel pour moi, parce que mes circonstances, comme celles de beaucoup de Français, étaient très différentes de celles des jeunes Américains dont mes personnages sont inspirés, qui ont la chance d’être dans un lycée très particulier, avec une forte identité. Le thème était essentiel pour eux, et donc pour les personnages du roman.
Puce propose, tout au long du roman, tout un tas de références qui l’ont bercée, construite et amenée à écrire — aussi. Et toi, quels sont les livres, films, musiques ou autres O.C.A.I. (objets culturels à identifier) qui t’ont construit ?
C’est intéressant, ce concept, des « objets qui construisent », j’ai dû y réfléchir un peu. Particulièrement à l’âge de Puce, quand j’étais au lycée, quelques trucs s’imposent qui ont été fondamentaux dans ce « chantier de moi-même »:
MUSIQUE: Suprême NTM
AUTEURS: Emil Cioran & Antonin Artaud
CINÉMA: L’Auberge Espagnole & Les Poupées Russes
TÉLÉ: Dawson’s Creek, une série américaine diffusée au début des années 2000 en France et trop souvent sous-estimée. C’est de loin ce qui m’a le plus influencé à cette époque. Elle m’a construit, déconstruit, reconstruit. En termes d’écriture, il y a un boulot fantastique, et sur le thème de l’adolescence, pour moi c’est la bible.
Tu viens d’entrer dans le délicieux monde de la littérature jeunesse. Ça va s’arrêter là ?
Je n’espère pas ! C’est un terreau fertile, il y a de quoi écrire de chouettes histoires. Pour autant, je ne me considère pas spécialement comme un « auteur jeunesse ». Mon premier roman était un thriller policier, et j’ai aussi écrit de l’anticipation pour adultes. Tout est dans ce qu’on raconte. Qu’est-ce qui arrive, à qui ça arrive, et qu’est-ce qu’on veut dire par là ?
Pourquoi aller en littérature jeunesse ? Quels sont les livres qui ont pu t’y pousser, ceux qui t’ont marqué personnellement peut-être ?
Je n’y suis pas « allé », comme je l’ai dit avant, c’était juste l’histoire que j’avais à raconter, elle concernait des ados. Aucun livre ado ne m’a véritablement poussé à écrire dans cette catégorie, j’en ai lu très peu d’ailleurs, lorsque j’étais au lycée je lisais des livres pour adultes, et ces dernières années, je n’ai lu que trois ou quatre livres en littérature YA. En littérature pour les plus jeunes en général, en revanche, je suis un grand fan d’Enid Blyton (Oui-Oui, Jojo Lapin, Le Club des Cinq), de Goscinny (Le Petit Nicolas), et de ce qu’a fait J.K. Rowling avec Harry Potter.
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